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10 septembre 2014 3 10 /09 /septembre /2014 09:32
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Plus je vieillis et plus je prends en horreur les éloges funèbres. On ne peut pas résumer en quelques phrases bien nettes le tourbillon d’émotions compliquées qui vous prend à l’annonce de la mort de quelqu’un, parce qu’il n’y a jamais uniquement de la tristesse comme on voudrait le croire, et parce que ce tourbillon-là, après tout, ne regarde que nous. Mais je vois mal comment je pourrais ne pas parler ici de Graham Joyce. Ne serait-ce que parce que mes douze années de traduction n’auraient pas été les mêmes sans lui, et qu’après Lignes de vie plus rien n’a été pareil. On ne partage pas plusieurs mois de sa vie avec un roman comme celui-là sans grandir un peu au passage.

Les souvenirs qui remontent après l’annonce sont toujours surprenants ou incongrus : une chanson de Kate Bush qui me tourne dans la tête parce que Graham était fan et que nous avions eu une conversation de groupies dans un train Paris-Arras en compagnie de l’équipe Bragelonne ; une improbable fête de lancement virtuel sur son mur Facebook pour son dernier roman, paru pendant sa maladie ; une soirée de fous rires ininterrompus lors d’un repas mémorable à Bruxelles vers 2001 avec d’autres amis traducteurs et auteurs ; et puis un moment que j’avais oublié, le même jour ou la veille, je venais de le rencontrer sans l’avoir jamais lu ou si peu, et lors de ma toute première table ronde qui se passait plutôt mal, je m’accrochais au regard bienveillant de Graham, au premier rang du public, qui percevait visiblement que je me décomposais de trouille derrière cette table.

Le reste n’appartient qu’à moi et je n’aurais pas les mots pour le décrire. Le monde vient de perdre un écrivain unique, c’est une putain d’injustice, ça l’est toujours, mais celle-là est amère. Je connaissais moins le bonhomme que l’écrivain, je crois que c’était quelqu’un de bien, et je prends à peine conscience de la dette que j’avais envers lui.

Restent ses livres. C’est peu et immense à la fois. J’ai eu le privilège d’être sa voix française pour quatre d’entre eux et c’est un des plus beaux cadeaux qu’on m’ait faits dans ce métier.

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commentaires

P
Oh non! Je garde un souvenir ému de la lecture de Lignes de Vie, quelques mois après la naissance de mes jumeaux, après des semaines d'apnée cote plus-de-temps-pour-la-lecture, j'avais adoré pouvoir me replonger dans un livre, et celui ci en particulier ,que mon mari m'avait offert traduit de la plume Fazi. Un beau moment. Une triste nouvelle.
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